samedi 24 décembre 2011

Erdeven, Morbihan

Dans la nuit du 15 au 16 décembre, le cargo TK Bremen est sorti du port de Lorient en pleine tempête. Il s'agissait paraît-il de le mettre à l'abri au mouillage près de Groix. Quelques brasses plus loin, il a échoué vers deux heures du matin sur la grande plage d'une petite commune : Erdeven, connue pour ses alignements de menhirs... et sa grande plage.





Avant de s'ensabler définitivement, le cargo a été balloté, sa structure fragilisée et il a déversé une partie de ses 190 tonnes de carburant dans la ria d'Etel où une cinquantaine d'ostréiculteurs préparaient leurs produits pour les fêtes.

Après avoir vu une photo non signée sur le site du quotidien "Ouest France", je me suis rendu sur place pour me rendre compte des dimensions du cargo et pour tenter d'appréhender l'ampleur des dégâts. Samedi 17 décembre, le site était bondé et une cohorte de gendarmes formait un cordon sanitaire à 50m de l'épave. Le sable étant meuble, des hommes en combinaison s'empressaient de purger les hydrocarbures à l'aide d'un quad et de trois ou quatre poubelles plastiques, les camions citernes et autres pelleteuses étaient forcés d'attendre derrière la dune.

Aux dernières nouvelles, le cargo de 109m de long devrait être démonté sur place.


Deux autres billets sur ce blog évoquent à peu près le même thème : ici et .


lundi 12 décembre 2011

Une citation de 1952

« Aucun photographe ne peut savoir en appuyant sur le déclencheur s'il va réaliser une œuvre immortelle, car plus il étudiera longtemps le problème esthétique posé par son cliché, moins son œuvre aura de chance d'être valable. On m'a dit déjà : "Vous êtes un artiste", c'est de la blague. Dans 50 ans se jugeront mes photos, mais sûrement pas dès aujourd'hui. »

— Izis, in Paris des Rêves,
catalogue de l'exposition 2010 à l'Hôtel de Ville de Paris,
Flammarion 2009, p. 153


samedi 10 décembre 2011

Caséieur

Les casiers ne sont plus très nombreux en Bretagne. Ils décorent les maisons dans certains ports, du Conquet à l'Île-Tudy, mais peu de marins en vivent encore. Au large du Guilvinec et de Saint-Guénolé Penmarc'h, à l'ouest du Croisic, de Douarnenez ou de Concarneau, les drapeaux délavés de la pêche aux casiers roulent sur l'océan, comme des titres de conquête un peu dérisoires.

Aujourd'hui, le casier est devenu presque confidentiel. A bord de « L'Atlantide », on pêche du homard, des araignées, des crabes ; parfois, par accident, des poulpes pour lesquels l'Océarium s'empresse d'envoyer une fourgonnette au port.

Les poissons invendus de la veille sortent des frigos de la criée vers trois ou quatre heures du matin : ils constituent l'appât qu'il faut préparer et disposer dans les casiers des heures durant. Un moteur remonte les filières laissées en mer la veille. Vider, remettre l'appât et replonger quelques 120 nasses. Les gestes sont précis et minutés, l'espace est très restreint. Les marins triment cinq nuits et cinq jours par semaine. Quand ils ont fini, leur regard porte loin et ils se laissent bercer.





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Je tiens à remercier Nicole, Robert et Gaby sans qui il m'aurait été difficile d'embarquer. Depuis plus d'un an, une poignée de passionnés m'a permis de découvrir et de photographier différents aspects de la pêche traditionnelle. Une sélection de ces photos a été exposée de février à juin 2011 derrière la criée de Saint-Guénolé, puis en août 2011 dans le cadre d'un rassemblement des « Objecteurs de croissance ».

mardi 6 décembre 2011

De l'outil au geste

On peut trouver toutes sortes de postures chez les photographes, amateurs comme professionnels. Certaines personnes ne possèdent des appareils photo que pour les poser derrière une vitrine et les astiquer le dernier dimanche de chaque mois. Et ne pensez pas qu'ils ne collectionnent que des vieilleries : le dernier Leica M9-P, le Fuji X100 font partie du délire. D'autres s'expriment moins et photographient davantage, et chez ceux-là il est de bon ton d'accorder peu d'importance à l'outil photographique. Mais bizarrement, ils utilisent quand même un Leica, un Rolleiflex, un Hasselblad...

A quoi rime cette schizophrénie du photographe ? Pourquoi ce discours affiché, si différent de la réalité ? Pourquoi ne pourrait-on pas à la fois mener une véritable démarche photographique et aimer les outils qui accompagnent, j'allais dire qui permettent à cette démarche de prendre forme ?

Imaginons : j'aime les paradoxes(1). C'est pourquoi, pour dégager l'outil de mes pensées quotidiennes, j'ai décidé de commencer un journal photographique. Et puisque seules comptent les photos, j'y ajouterai des mots. Et puisque l'appareil importe peu, elles seront toutes prises avec un appareil bien précis. Et comme il est de bon ton de mépriser l'outil, je ne ferai rien d'autre que d'en parler tout le temps. J'en reviens finalement à mon point de départ : je vais écrire mon journal amoureux. Un amour télémétrique. :)

Demandez à Matisse de négliger ses pinceaux, à Hendrix de jouer sans cordes, vous verrez à peu près ce que je veux dire. Matisse, vers la fin de sa vie, logeait, nourrissait et payait Jacqueline Duhême pour rester à sa disposition et s'occuper de ses pinceaux et de ses bouts de papiers en suivant très scrupuleusement ses instructions(2). A l'arrivée, quand on regarde une toile de Matisse, c'est vrai, on s'en moque. Mais lui ne s'en moquait pas du tout, bizarrement. Matisse était à la fois un grand artiste et un homme obnubilé par ses outils quotidiens. Edouard Boubat était un poète dans ses mots comme dans ses photos, mais il avait fait de l'ouverture du diaphragme et du petit signe "infini" sur son objectif la métaphore de sa présence au monde. Pour Cartier-Bresson l'appareil était un prolongement de l'œil, mais il ne s'imaginait pas utiliser autre chose qu'un Leica 24x36.

Dans n'importe quel geste artisanal, on recherche toujours une sorte de symbiose entre la main, l'esprit et l'outil. La photo ne fait pas exception à cela, alors plutôt que de choisir un camp entre les fétichistes collectionneurs et les déclencheurs forcenés, je m'inscris sur une voie de traverse : je prends en main un outil que j'aime, je le caresse, je le mets à l'épaule. Je sors, je règle une vitesse d'obturation et une ouverture de diaphragme. Et je me tiens disponible. Quand l'occasion d'une photo se présente, je porte l'outil à mon œil droit, je fais le point, je compose. Clic. Pourquoi bouder son plaisir ?


Il ne s'agit pas de faire l'apologie de l'outil pour l'outil, mais de souligner le geste. Un ouvrage sur Cartier-Bresson est intitulé Le tir photographique(3), métaphore guerrière... Je préfère l'idée du simple geste, et de l'accomplissement répété de ce geste grâce à l'outil. De l'outil au geste comme Agnès Sire disait de Doisneau qu'il était passé du métier à l'œuvre. La génuflexion du Rolleiflex, l'œil gauche ouvert du Leica. Ce ne sont pas des gestes affectés : ce sont des gestes induits par l'outil et qui influent sur la photo.


1. Paradoxe : « contraire à l'opinion commune », de para : « contre », et doxa : « opinion »
2. Jacqueline Duhême, Petite main chez Matisse (album dessiné), Gallimard
3. Dans la collection "Découvertes Gallimard"