mercredi 25 avril 2012

Rome, acte III scène 2

Ce ne sont pas des vues lointaines pour prendre du recul : c'est le regard qui se pose sur des paysages, des architectures déjà composées. Ne reste plus qu'à attendre une poignée de seconde qu'une présence humaine vienne équilibrer l'image en lui donnant son échelle.


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lundi 23 avril 2012

Rome, acte III scène 1

Je suis retourné à Rome en octobre dernier, après de trop longues années d'abstention. J'adore l'Italie, et Rome en particulier. Ça a été un régal pour les yeux autant que pour les papilles. Hélas je suis assez déçu de mes photos, six mois après : elles n'expriment pas ce que j'ai ressenti sur place. Je n'y retrouve pas tout ce qui a fait de ce voyage, pour moi, un moment si précieux.

Quoi qu'il en soit, je ne vais pas garder ces quelques images dans mes tiroirs en attendant qu'elles prennent un goût qu'elles n'auront probablement jamais : je préfère les partager aujourd'hui pour ce qu'elles valent. Ce sont juste quelques clichés...

Les déambulations touristiques des religieuses place Saint-Pierre, au cœur du monde chrétien :


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jeudi 12 avril 2012

Le cornet à dés

Vous connaissez peut-être ce fameux poème/manifeste de Mallarmé : « Un coup de dés jamais n'abolira le hasard » ?

Il en va de même pour la photographie. D'ailleurs Willy Ronis avait intitulé l'un de ses livres Sur le fil du hasard. En réalité, je trouve énormément de points communs entre la poésie et la photographie. Le matériau n'est pas le même, les moyens techniques et les outils non plus. Mais dans les deux cas il faut s'imposer une certaine discipline basée sur la rigueur, l'inspiration et le hasard.

Je suis de nouveau à Quimper et j'essaie de prendre mon temps. De laisser faire le temps. De laisser venir. Il fait grand ciel bleu à un moment, l'instant d'après tout se couvre et il pleut comme vache qui pisse. Je fais varier la sensibilité de mes films de cinquante à huit cents ISO. J'ai une rage de dents : drogué au paracétamol et à l'aspirine pendant trois jours, avant de passer à des substances plus fortes. Ma sensibilité aussi fait le yo-yo. Je joue : Scrabble, Ligretto, Sushi Bar, Chasse les chapeaux. Je lis : « Intimité », Conseils à un jeune poète, Les Essais. Je feuillette : Le Grand bal du printemps de Prévert et Izis, le nouveau numéro de la revue « 6 mois », un catalogue Maison du monde, « Le Monde »« Libé » ou un vieux numéro de « Paris-Match » qui traîne dans la salle d'attente d'un médecin de campagne.

Quelques extraits tirés des Conseils... de Max Jacob, un Quimpérois : 

« J'ouvrirai une école de vie intérieure, et j'écrirai sur la porte : école d'art. 
(...) Le résultat premier de la vie intérieure est de nous rendre perméable. Un poète imperméable ne fera que des œuvres superficielles. 
 
On peut se demander si toute poésie n'est pas autre chose que superficialité. Je réponds "oui". C'est dommage. Mais on peut se demander à soi-même d'essayer autre chose. En tout cas ne vivront que les œuvres non superficielles, je veux dire celles qui, ayant l'apparence du superficiel, ont passé par le gouffre du sérieuxDonc soyez d'abord perméable, c'est-à-dire sérieux. »

La photographie aussi est d'abord superficielle. Elle est visuelle comme la poésie est sonore. C'est son handicap et son sine qua non. Et je crois comme Max Jacob qu'elle ne dépasse pas la superficialité par le choix d'un sujet consistant, mais par le fait de gagner en densité, en vie intérieure. Vous pouvez traiter un sujet noble de façon superficielle ; à l'inverse si vos photos sont habitées, le sujet a peu d'importance et la photo devient sa propre finalité, sa propre raison d'être. Alors...

« Examinez-vous. Cela s'appelle réflexion, double réflexion, se voir vivre, voir vivre les autres.
C'est la vie intérieure. »

Un ami photographe m'avait offert l'ouvrage de Rilke, qui est du même tonneau. Mais par proximité, j'aime encore mieux celui de Max Jacob. Ces petites phrases, ces aphorismes qui progressent par petites touches, par impulsions, par déclenchements successifs sont de bon conseil. Voir vivre les autres c'est les rencontrer. Les écouter, c'est se voir vivre et entrer en réflexion. 

Je m'intéresse à certaines choses sans savoir pourquoi, mais je m'y intéresse. Je pousse la curiosité assez loin. Je ne veux pas entrer par effraction dans l'intimité des gens, mais nos intimités ont des points communs. Et la plupart du temps, je le sais bien, j'échoue à dire l'essentiel, à photographier l'essentiel. Derrière beaucoup de mes portraits, il n'y a rien d'autre. La personne photographiée n'y est pas : il n'y a qu'un visage.

Être perméable c'est aussi se faire avoir : à Rome en octobre dernier, j'étais dans l'émerveillement et dans les souvenirs. Ça m'a semblé un terrain de jeu formidable pour la photo, mais avec six mois de recul je ne vois qu'un grand nombre de photos sans intérêt photographique, de simples enregistrements de centièmes de seconde qui ne tiennent ni du hasard, ni de la rigueur, ni même de l'inspiration. Des déclenchements mécaniques, sans vie intérieure.

« Aimer les mots. Aimer un mot. Le répéter, s'en gargariser. Comme un peintre aime une ligne, une forme, une couleur. (TRES IMPORTANT) »  
— Max Jacob, in Conseils à un jeune poète,
NRF Gallimard 1945, 13è édition réimprimé en 1956, pp. 15-16, 27-28 et 35


Que doit aimer le photographe ? Le film noir et blanc, le grain, les contours, la densité matérielle des sels d'argent. Choisir un film c'est préparer sa palette, affûter son burin. Armer c'est retendre ses cordes. Déclencher, c'est sculpter dans la matière brute en un cent-vingt-cinquième de seconde. C'est lancer le dé.

jeudi 5 avril 2012

Retour à Beyrouth


« (...) c'est ici pourtant
dans cette ville
que j'ai dit adieu
au grand photo-journalisme sacré
du reporter qui se tait, qui obéit
qui ne répond pas.
J'avais osé écrire mes « notes »
une autre légende sous mes photographies
pas la même que celle des magazines illustrés
qui avaient acheté mes images
j'avais parlé d'une autre vérité
sacrilège de quoi il se mêle ?
Le parfait reporter ne doit pas avoir d'états d'âme
il doit témoigner et se taire
pour fuir ensuite sur d'autres fronts
il sera un héros moderne
il racontera sa vie bien plus tard
dans un gros livre avec des belles images
ou bien il ne reviendra pas.
Je crie je suis en colère
parce qu'ils ne sont plus là
ceux avec qui j'ai cru moi aussi
au grand journalisme concerné
ils ne sont plus là
les Météores photographes
Gilles Caron, Michel Laurent
morts au champ d'honneur
le temps d'être père
et bon reporter (...) »

— Raymond Depardon, in Voyages,
(ici le retour à Beyrouth)
Hazan 2004, pp. 410 et 412