mercredi 26 novembre 2014

A propos du "talent"

On me dit parfois – mais à qui ne le dit-on pas – en réaction à telle ou telle de mes photos que j'ai du « talent ». Ce mot me gêne depuis des années. Je ne m'y associe pas du tout. Que certains y croient, croient avoir du talent, se considèrent comme des artistes... ça les regarde. Ça n'est pas du tout mon cas.




Je sais, c'est pénible. Je comprends. Toute trace, même infime, de modestie... risque toujours d'être interprétée comme de la fausse modestie. Et si je refuse le mot « talent »... me voilà juste rasoir, ou carrément prétentieux !








Echange théâtral :

MOI – En fait tu m'engueules parce que je pense que je n'ai pas de talent ? Ça te blesse que je le pense ?

LUI – Je ne t'engueule pas. Tu ne te rends pas compte que c'est lourd ton discours du « non je sais que je n'ai pas de talent ». C'est faux donc énervant.

MOI – De ton point de vue peut-être. Mais je n'attends ni de toi ni de quelqu'un d'autre d'apprendre que j'ai du talent.

LUI – Pas de mon point de vue, non. Je t'ai toujours dit que tu as du talent.

MOI – Oui je sais et c'est gentil, mais moi je ne le pense pas. Je sais mieux que personne ce que valent mes photos. J'ai un lien affectif avec certaines d'entre elles. C'est tout ce qui compte pour moi. Certaines sont réussies techniquement, d'autres pas du tout et le plus souvent ça n'a rien à voir avec le fait que je les aime ou pas. Je fais des images. Parfois jolies. Mais je ne me verrai jamais comme un artiste et je n'aurai jamais la prétention de croire que j'ai du talent.






Ou alors... est-ce qu'un boulanger qui fait de bons croissants a du talent ? Dans ce cas, oui, je veux bien qu'on me trouve du talent. Le jour où je saurai faire de bonnes photos aussi souvent qu'un boulanger fait de bons croissants. Jusqu'à ce jour... 





J'essaie d'avoir un peu de chance, de la patience, d'utiliser de bons outils. J'essaie de prendre du plaisir quand je déclenche. J'essaie d'avoir encore une ou deux photos à partager ici ou là. Je me fais parfois pour moi-même quelques tirages. Et j'apprécie le talent des autres, lorsque je leur en trouve. C'est déjà beaucoup. C'est l'essentiel pour moi.

samedi 19 juillet 2014

Ganivelles

Pas grand chose à vous raconter. Je recherche un peu de poésie. Les ganivelles sont ces barrières de bois qu'on trouve au bord des plages. Elles servent à freiner le vent et le déplacement du sable sur les dunes. Elles protègent la faune et la flore.



J'ai grandi dans le Finistère, alors elles sont liées pour moi à l'enfance, aux premiers souvenirs de plage à Kermor, sur la commune de Sainte-Marine. Comme je photographie souvent les bords de mer, elles apparaissent ici et là dans mes photos depuis toujours.


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En mars et avril derniers, profitant des beaux jours je me suis promené au gré des sentiers et de la lumière. Quittant Nantes où je vis désormais, recherchant un peu d'air et d'espace. Des sensations aussi.




Ô lecteur improbable qui lirait encore ces lignes, un poème pour toi comme pour moi :

Sensation 

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers, 
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue : 
Rêveur j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds. 
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.


Je ne parlerai pas, je ne penserai rien : 
Mais l'amour infini me montera dans l'âme, 
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien, 
Par la Nature, ― heureux comme avec une femme.


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Comme Rimbaud à 17 ans, j'ai eu envie de fugue pendant tout le printemps. J'ai disparu, ne laissant derrière moi que quelques mots, inquiétant inutilement les personnes qui me sont chères. J'ai connu quelques mauvais moments mais je me suis toujours repris en mains.





J'ai 37 ans et je ne sais pas ce qui m'arrive. J'essaye de prendre un tournant. J'ai laissé des lieux, des personnes derrière moi. Je suis arrivé à Nantes à bout de souffle et j'ai redémarré quelque chose pour moi, mais c'est trop tôt pour dire quoi, comment, pourquoi.

Les ganivelles sont aussi un symbole de ma nouvelle vie. Elles sont plantées dans le sol dans un endroit que j'aime.  Elles sont en bois brut. Elles sont un peu désuètes car, en réalité, elles ne peuvent arrêter ni le vent ni le sable. Elles dessinent le paysage. Elles délimitent les chemins.

mercredi 5 mars 2014

Nantes je t'aime

Même si j'ai souvent abandonné ce blog sur des périodes assez longues, je crois que je n'ai jamais autant procrastiné que pour écrire ce billet. Le titre, pourtant, je l'ai en tête depuis des semaines et des mois. Le contenu ? C'est un peu la suite des deux billets "N'être pas chez soi", finalement...




Depuis l'automne, j'ai passé beaucoup de temps à Nantes. De plus en plus. J'ai dû prendre quelques photos, sans doute. Elles ne sont pas encore développées pour la plupart. J'ai failli vingt fois arrêter la photo pour de bon, mais j'ai comme l'impression que je vais au contraire continuer de plus belle.




Nantes je t'aime pour tes quartiers, pour tes pierres, pour tes passants. Pour tes lumières en fin de journée, pour ton soleil au bord de l'Erdre. Nantes un jour j'aimerais habiter chez toi. Ça fait dix ans que je vis dans ce département, dix ans que je te tourne autour, dix ans que tu m'attends.

Nantes je t'aime et parfois, Nantes, je ne t'aime pas.

samedi 1 mars 2014

Les mots d'Henri


« Il faut réfléchir tout le temps, sauf quand on photographie»

« Nous sommes des aventuriers. Il y a la vie de tous les jours qui palpite et qui fout le camp. On est là et bouh ! Moi je suis un paquet de nerfs et j'en profite énormément... de ça. »

« Il ne faut pas vouloir : il faut être disponible, réceptif. Cézanne disait "quand je peins et que je me mets à penser, tout fout le camp"»

« Ce qui compte c'est ce qu'on fait demain matin, et dans une minute, et maintenant. »


— Henri Cartier-Bresson
in "Le siècle de Cartier-Bresson" par P. Assouline, Arte TV

mercredi 1 janvier 2014

N'être pas chez soi, tome 2

Selon moi, la photographie ne consiste pas à rechercher une zone de confort, un créneau, un filon. Elle ne rime qu'à explorer une sensibilité à la lumière et au monde. Je ne crois pas à l'idée d'un « univers » artistique préexistant : ce qu'on appelle « l'univers » d'un artiste se constitue, à mon sens, petit à petit et de façon empirique. Il n'y a pas d'univers artistique préalable à la production d'un geste artistique. Au berceau, rien ne prédisposait Picasso à inventer le Cubisme. Je vous assure, je le sais bien... vu que j'ai lu la BD !




Le photographe doit apprendre à aimer ce qui l'éloigne de chez lui, ce qui le distancie de lui-même. La photographie est l'autre nom de la curiosité.




Mettre l'appareil devant l'œil, c'est toujours se mettre en retrait de ce qui nous entoure. Vivre un moment pleinement tout en le photographiant, c'est la quadrature du cercle. Un viseur à l'échelle 1:1 permet une meilleure immersion au moment du déclic et retranscrit souvent mieux ce qu'on a vu, tel qu'on la vu.

Photographier en 6x6 sur un Rolleiflex avec un viseur inversé porté à hauteur de la poitrine, ça amène une autre gymnastique de l'œil qui n'est pas moins intéressante. Le viseur déporté du télémétrique tout comme celui d'un TLR force à mieux connaître l'appareil, à gérer la parallaxe par soi-même, malgré l'appareil, à vue de nez. Le boîtier reflex reste toujours un medium, et donc un obstacle entre soi et la photo.




La visée télémétrique et celle d'un TLR sont au contraire des outils qui facilitent la « vision » de la photo. A se familiariser avec eux, on les oublie. Ces appareils permettent aussi au photographe de ne pas se cacher derrière son boîtier. Les gens qu'on photographie oublient l'appareil eux aussi. Et ils oublient qu'on les photographie, justement parce qu'ils nous voient aussi bien et aussi directement qu'on les voit.


(image retirée)

J'ai écrit le billet précédent à Angers. M'y revoilà. J'ai oublié de préciser qu'en rentrant chez moi ce jour-là, mon chez moi venait d'être cambriolé. Mes vieux appareils n'ont pas disparu, pas plus que mon scanner. J'en suis quitte pour une belle frayeur.


 Quelle ironie quand même.