mercredi 1 janvier 2014

N'être pas chez soi, tome 2

Selon moi, la photographie ne consiste pas à rechercher une zone de confort, un créneau, un filon. Elle ne rime qu'à explorer une sensibilité à la lumière et au monde. Je ne crois pas à l'idée d'un « univers » artistique préexistant : ce qu'on appelle « l'univers » d'un artiste se constitue, à mon sens, petit à petit et de façon empirique. Il n'y a pas d'univers artistique préalable à la production d'un geste artistique. Au berceau, rien ne prédisposait Picasso à inventer le Cubisme. Je vous assure, je le sais bien... vu que j'ai lu la BD !




Le photographe doit apprendre à aimer ce qui l'éloigne de chez lui, ce qui le distancie de lui-même. La photographie est l'autre nom de la curiosité.




Mettre l'appareil devant l'œil, c'est toujours se mettre en retrait de ce qui nous entoure. Vivre un moment pleinement tout en le photographiant, c'est la quadrature du cercle. Un viseur à l'échelle 1:1 permet une meilleure immersion au moment du déclic et retranscrit souvent mieux ce qu'on a vu, tel qu'on la vu.

Photographier en 6x6 sur un Rolleiflex avec un viseur inversé porté à hauteur de la poitrine, ça amène une autre gymnastique de l'œil qui n'est pas moins intéressante. Le viseur déporté du télémétrique tout comme celui d'un TLR force à mieux connaître l'appareil, à gérer la parallaxe par soi-même, malgré l'appareil, à vue de nez. Le boîtier reflex reste toujours un medium, et donc un obstacle entre soi et la photo.




La visée télémétrique et celle d'un TLR sont au contraire des outils qui facilitent la « vision » de la photo. A se familiariser avec eux, on les oublie. Ces appareils permettent aussi au photographe de ne pas se cacher derrière son boîtier. Les gens qu'on photographie oublient l'appareil eux aussi. Et ils oublient qu'on les photographie, justement parce qu'ils nous voient aussi bien et aussi directement qu'on les voit.


(image retirée)

J'ai écrit le billet précédent à Angers. M'y revoilà. J'ai oublié de préciser qu'en rentrant chez moi ce jour-là, mon chez moi venait d'être cambriolé. Mes vieux appareils n'ont pas disparu, pas plus que mon scanner. J'en suis quitte pour une belle frayeur.


 Quelle ironie quand même.