Selon moi, la photographie ne consiste
pas à rechercher une zone de confort, un créneau, un filon. Elle ne
rime qu'à explorer une sensibilité à la lumière et au monde. Je
ne crois pas à l'idée d'un « univers » artistique
préexistant : ce qu'on appelle « l'univers » d'un
artiste se constitue, à mon sens, petit à petit et de façon
empirique. Il n'y a pas d'univers artistique préalable à la
production d'un geste artistique. Au berceau, rien ne prédisposait
Picasso à inventer le Cubisme. Je vous assure, je le sais bien... vu que j'ai lu la BD !
Le photographe doit apprendre à aimer
ce qui l'éloigne de chez lui, ce qui le distancie de lui-même. La
photographie est l'autre nom de la curiosité.
Mettre l'appareil devant l'œil, c'est
toujours se mettre en retrait de ce qui nous entoure. Vivre un moment
pleinement tout en le photographiant, c'est la quadrature du cercle.
Un viseur à l'échelle 1:1 permet une meilleure immersion au moment
du déclic et retranscrit souvent mieux ce qu'on a vu, tel qu'on la
vu.
Photographier en 6x6 sur un Rolleiflex
avec un viseur inversé porté à hauteur de la poitrine, ça amène
une autre gymnastique de l'œil qui n'est pas moins intéressante. Le
viseur déporté du télémétrique tout comme celui d'un TLR force à
mieux connaître l'appareil, à gérer la parallaxe par soi-même,
malgré l'appareil, à vue de nez. Le boîtier reflex reste toujours
un medium, et donc un obstacle entre soi et la photo.
La visée
télémétrique et celle d'un TLR sont au contraire des outils qui
facilitent la « vision » de la photo. A se familiariser
avec eux, on les oublie. Ces appareils permettent aussi au
photographe de ne pas se cacher derrière son boîtier. Les gens
qu'on photographie oublient l'appareil eux aussi. Et ils oublient
qu'on les photographie, justement parce qu'ils nous voient aussi bien
et aussi directement qu'on les voit.
(image retirée)
J'ai écrit le billet précédent à
Angers. M'y revoilà. J'ai oublié de préciser qu'en rentrant chez
moi ce jour-là, mon chez moi venait d'être cambriolé. Mes vieux
appareils n'ont pas disparu, pas plus que mon scanner. J'en suis
quitte pour une belle frayeur.
Quelle ironie quand même.